Provence by Jean Giono

Provence by Jean Giono

Auteur:Jean Giono [Giono, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
ISBN: 207073420X
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


9.

« J’ai beau être né dans ce pays… »

(1954)

J’ai beau être né dans ce pays et l’avoir habité sans interruption pendant près de soixante ans : je ne le connais pas. Je l’ai parcouru dans tous les sens : à pied, à cheval, en voiture, sans jamais pouvoir dresser le catalogue complet de ses vertus et de ses vices. Mon premier voyage eut lieu en 1911. Ma mère m’envoya au pèlerinage de l’aube à Moustiers-Sainte-Marie. Jusque-là, je n’avais vu que les vergers d’oliviers autour de Manosque. Il s’agissait cette fois de traverser la Durance, de monter sur le plateau de Valensole et d’aller chercher de l’autre côté, dans des montagnes bleues, une petite chapelle perchée. On partit à six heures du soir, en septembre. Une heure après, le postillon fit descendre tous les voyageurs de voiture pour soulager les chevaux qui abordaient au pas la rampe montant sur le plateau. J’entendis le bruit des forêts d’yeuses. J’étais à ce moment-là nourri d’Homère et des tragiques grecs. Ce froissement de cuirasses m’exalta.

J’ai revu le plateau en pleine nuit, vingt ans après, à la suite d’une panne d’auto qui nous immobilisa, un ami et moi, dans ces étranges parages. Il ne fallait pas compter sur nos connaissances en mécanique et il ne fallait pas compter sur une aide quelconque venant d’autrui. Dès la nuit, tout le monde se barricade ici, même dans les petits bourgs. On peut toujours tambouriner à la porte des garages. Plus on frappe fort, plus l’habitant fait le mort. Il aurait d’ailleurs fallu marcher pendant plus d’une quinzaine de kilomètres avant de pouvoir frapper à une de ces portes qui ne s’ouvrent pas. Nous avions du tabac, il faisait beau, c’était l’été. Peu à peu nos yeux s’habituèrent à l’obscurité jusqu’à voir, pas très loin de nous dans les vergers d’amandiers, la masse d’une grosse ferme fortifiée au milieu des éteules. Ce plateau aime le mystère : la nuit lui convient.

Nous étions du pays, mon ami et moi, nous savions que, dans ces cas-là, il faut parler à voix haute. C’est ce que nous faisions. Les chiens n’aboyaient pas. D’ailleurs, on ne les laisse jamais dans la cour. On les fait entrer et on se barricade avec eux. Ce sont de bonnes bêtes, mais qui, même en plein jour, font passer la fidélité au maître avant la bonté. Leurs yeux sont couverts de poils, ils peuvent aisément feindre le sommeil, tout en guettant à travers leurs épais sourcils. Ce sont des griffons hauts sur pattes et râblés, bâtards bien entendu et qui s’abâtardissent à chaque printemps, mais sans jamais perdre cette fidélité totale ; au contraire, plus ces griffons sont laids, plus ils sont héroïques. Accouplés souvent à des hommes lourds et sournois, à des familles rendues sauvages par des siècles de peur, à des troupeaux malades qui ne peuvent leur donner aucun plaisir, ils gardent leurs vertus. Ils ont l’air même de se jeter à corps perdu dans une sorte de sainteté.

Il faut avoir vécu, et de



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